Et si, derrière une écriture qui s’effiloche, des lacets récalcitrants ou une géométrie qui déraille, il n’y avait pas de “maladresse” au sens ordinaire, mais un autre mode d’organisation du geste ? Le trouble du développement de la coordination (TDC, souvent appelé dyspraxie) ne parle pas d’effort insuffisant. Il décrit la difficulté à planifier, programmer et enchaîner des gestes, surtout quand ils sont fins, rapides ou visuo-spatiaux. Comprendre cela change le regard : on cesse d’attendre “comme les autres” et on construit des chemins qui respectent la manière dont le cerveau de l’enfant pilote le mouvement.
Dans cette page, je vous propose une vue claire du TDC : ce que l’on observe, comment je l’évalue de manière intégrative, et surtout comment agir, à l’école et à la maison, sans épuiser l’enfant ni la famille.
TDC/Dyspraxie : ce qui se joue vraiment
Le geste n’est pas qu’un muscle qui se contracte. Il repose sur un chaînage cognitif : prévoir la séquence, organiser l’espace, ajuster la force, corriger en temps réel. Dans le TDC, une ou plusieurs de ces étapes accrochent. Résultats fréquents : écriture lente et coûteuse, découpage en dents de scie, difficultés à copier du tableau, en géométrie (règle/équerre/compas), en sport (coordination), dans les gestes du quotidien (boutons, lacets, mise de table). Les enfants déploient souvent des efforts considérables, invisibles aux yeux des autres, jusqu’à la fatigue et la démotivation.
Important : l’intelligence n’est pas en cause. Beaucoup d’enfants avec TDC ont des idées riches et un raisonnement solide. Le défi porte sur la mise en forme motrice et visuo-spatiale.
Signes qui peuvent alerter
- Écriture très lente, irrégulière, douloureuse, qui “mange” tout le temps cognitif
- Copie du tableau difficile, lignes qui ondulent, organisation spatiale de la page complexe
- Géométrie coûteuse (placer, tracer, aligner), manipulations laborieuses (règle, compas)
- Gestes fins compliqués (boutons, lacets, découpage, bricolage), maladresse en EPS
- Stratégies d’évitement, grande fatigabilité, estime de soi qui baisse autour des tâches graphiques
Comment j’évalue : clinique d’abord, tests au service de la question
Mon approche est intégrative. Je commence par la clinique : histoire des acquisitions, scènes du quotidien, cahiers, retentissement à l’école/maison/loisirs. J’observe la posture, la prise d’outil, la gestion de l’erreur, la persévérance.
Je complète par des outils ciblés en fonction de l’âge et des hypothèses :
- WISC-V / WPPSI / WNV : situer les appuis cognitifs, en particulier visuo-spatial et vitesse de traitement, et repérer l’empreinte de la lenteur motrice sur les performances écrites.
- NEPSY (sélections) : praxies, imitation de gestes, fonctions attentionnelles/exécutives qui conditionnent le geste.
- BRIEF : retentissement des fonctions exécutives au quotidien (planification, organisation, flexibilité).
- Épreuves visuo-motrices et visuo-spatiales (copie, construction, repérage) et observation in situ de l’écriture prolongée (vitesse/fatigue/qualité).
Selon les besoins, je coordonne avec l’ergothérapie (ergothérapeute) et la psychomotricité pour objectiver finement la dimension motrice et construire un plan commun. L’évaluation n’a de sens que si elle débouche sur des aménagements concrets et partagés.
Pastilles cliniques : trois visages du TDC
1) Hugo, 8 ans — idées rapides, écriture en frein serré
Oral brillant, passion pour les sciences. Mais il finit rarement ses évaluations écrites. Le WISC-V montre des indices verbaux et de raisonnement solides, avec une vitesse de traitement basse. Observation : crispation du poignet, lettres de tailles variables. Besoins : réduire la copie “pour copier”, autoriser le clavier progressivement, évaluer à l’oral quand l’objectif n’est pas graphique, gabarits pour la mise en page.
2) Inaya, 9 ans — géométrie en montagnes russes
Comprend les consignes, mais trace de travers, perd les alignements. En classe, l’enseignant la croit “pressée”. Au cabinet, les gestes avec règle/équerre manquent d’anticipation. NEPSY (praxies) et observation visuo-spatiale confirment le besoin d’outils guides (réglettes antidérapantes, gabarits), d’un temps supplémentaire et d’un apprentissage explicite des séquences de tracé.
3) Kenzo, 10 ans — vie quotidienne et estime qui s’érode
Lacets, boutons, couverts… autant de micro-défis quotidiens. Il évite les ateliers manuels, se dit “nul de ses mains”. Le BRIEF signale une planification fragile. La coordination avec l’ergothérapie installe des gestes alternatifs, un entraînement ciblé par étapes et des supports visuels à la maison : l’autonomie progresse, l’humeur aussi.
Agir sans tarder : des appuis qui changent la donne
Les recommandations efficaces sont simples, répétables et mesurables. Elles visent à libérer la pensée du fardeau moteur :
- Réduire la copie : donner les énoncés imprimés, autoriser la photo du tableau, privilégier la réponse plutôt que la recopie.
- Outiller l’écrit : feuilles à grands interlignes, lignage coloré, gabarits de marges, planches-mémoire (formes, unités), surligneurs pour repères visuels.
- Clavier progressif : apprentissage méthodique (fréquence courte et régulière), utilisation dans certaines évaluations quand la forme n’est pas l’objectif.
- Temps & fractionnement : temps supplémentaire, pauses brèves planifiées (mains, épaules), tâches longues découpées en segments.
- Géométrie outillée : règle antidérapante, équerre à poignée, compas stable, gabarits, séquences de gestes affichées.
- EPS ajustée : consignes visuelles, démonstration par étapes, binôme ressource, valorisation du progrès et non de la performance pure.
Côté maison : entraîner un geste par semaine (lacets, boutonner, couper) en micro-séquences de 3–5 minutes, avec supports visuels et feedback positif. Le “beaucoup un jour” fonctionne moins bien que “un peu, souvent”.
Ce qu’il faut éviter
- Confondre lenteur motrice et paresse : l’effort est réel mais peu visible
- Empiler les aides sans plan : mieux vaut 3 aménagements tenus que 10 jamais mis en œuvre
- Évaluer le fond par la forme : noter la qualité des idées sur une production illisible entretient l’injustice
Coordination des professionnels : le fil qui tient
Le TDC se traite rarement en solitaire. Mon rôle, en tant que neuropsychologue, est de faire la jonction : synthétiser la clinique, objectiver avec des outils (WISC-V/WPPSI/WNV, NEPSY, BRIEF), prioriser 3–5 aménagements à fort impact, transmettre à l’enseignant et travailler de concert avec l’ergothérapeute et/ou le psychomotricien. Une réunion courte mais claire vaut mieux qu’un long courrier.
Ce que je retiens
Le TDC n’est pas une fatalité ni une “maladresse pour la vie”. C’est un autre chemin pour faire, écrire, construire. Quand on comprend où ça accroche, qu’on protège l’énergie de l’enfant et qu’on choisit des outils adaptés, l’expérience scolaire se transforme : les idées redeviennent visibles, la confiance respire, les progrès s’installent.
Ce texte est informatif et ne remplace pas un avis personnalisé. Chaque enfant est unique. Si vous vous interrogez sur une possible dyspraxie/TDC, je vous reçois volontiers pour en parler et envisager ensemble la démarche la plus aidante.
Dans le prochain article, nous aborderons les troubles du langage oral : quand les mots résistent, comment repérer, évaluer et coordonner l’accompagnement avec l’orthophonie et l’école.